Le festival vu par...

Petite fugue, grande évasion

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Biographie

Diplômé en biochimie, Gauz a été photographe, documentariste et directeur d’un journal économique satirique en Côte-d’Ivoire. Il a également écrit le scénario d’un film sur l’immigration des jeunes Ivoiriens, Après l’océan. Son premier livre, Debout Payé...

Le festival vu par Gauz, venu en 2019

Gauz a été photographe, documentariste et directeur d’un journal satirique en Côte-d’Ivoire. Il est l’auteur de deux livres parus aux éditions Le Nouvel Attila : en 2014, Debout Payé le propulse sur la scène littéraire, suivi par Camarade Papa en 2018.

Dans la voiture que Sylvain conduit sous les gerbes d’eau glaciale, l’ambiance est réchauffée par la franchise de la causerie. Pas besoin de parler de la pluie et du beau temps, on ne se force pas à la confidence. Il en est toujours ainsi avec les « accompagnateurs » du festival. La voiture, leur instrument, est un siège social. Avec chacun d’eux, je me découvre points communs, histoires partagées, mutualités d’idées et de convictions, visions artistiques mêlées. C’est tellement systématique que ça en est confondant. Ce mercredi, à mi-parcours de la semaine de festival et de route vers Morteau, j’apprends que Sylvain a passé des mois à l’hôpital protestant de Dabou, près d’Abidjan. Il y a été stagiaire, mais aussi pensionnaire par la faute d’un palu. La même année, je me baladais dans les parages, à la recherche des secrets d’une ville coloniale construite pour dominer la belle lagune et les peuplades qui la bordent. Ma quête s’est aussi achevée par un palu. Cela vous lie deux hommes du même âge d’avoir partagé les mêmes protozoaires dans la même ville au même moment. Nous voilà sur les contreforts du Doubs évoquant le fort de Dabou. À l’arrivée à Morteau, c’est 30 ans que nous avons passés sur la route pluvieuse. En traînant ma valise vers la bien nommée Guimbarde, restaurant-bar-PMU-hôtel-boîte-de-nuit, je pense à toutes les belles improbabilités que m’ont déjà offertes les Petites Fugues.

Tout commence à Dole avec Jacques. Notre dîner du dimanche soir passe par la pudeur rigide du nouveau venu pour finir dans les bâtons rompus de la vieille camaraderie. Notre rendez-vous du lendemain est à 12 h, mais il me reste encore un peu de mon statut d’auteur pour ne pas pousser à finir dans un bouge secret de la ville. La nuit est sauvée… À l’hôpital Louis-Pasteur, je m’imagine faire une rencontre au milieu d’une cohue de malades, je me représente les crânes nus à cause des chimios, je visualise les potences de sérum poussées par des clopinants en peignoir. En réalité, je me retrouve dans l’aile de l’Ehpad, camp de concentration de femmes et d’hommes du 3e âge. Moi qui ai été élevé par ma grand-mère, j’avais fini par oublier que la société moderne considérait la vieillesse comme une maladie. Mais les vieux ne se sont pas oubliés. Débarrassés de la dictature du corps, ils ne sont qu’âmes. Plus de noirs, plus de blancs, juste des âmes qui entendent un discours de l’universel. Je finis en pop star avec une demi-douzaine d’amoureuses et de groupies qui emporteront la magie du moment dans leur ultime voyage. Sur le retour vers Besançon, l’incontournable exercice de l’enfermement automobile avec « l’accompagnateur ». La pluie est déjà là. Jacques a été patron de gauche. Moi aussi, quand je dirigeais News&co, le journal économique abidjanais qui mettait le capitalisme à nu. Fatigue, ronronnement du moteur, crépitement des précipitations, Jacques finit par profiter de mes ronflements. À l’hôtel, alias Hôtel Shining à cause de ses interminables couloirs lugubres, je ne rencontrerai pas Makenzy Orcel. La nuit est sauvée…

Le mardi, celui qui prend le témoin de la course de relais que sera la semaine est aussi un Jacques. Sur la route de Baumes-les-Dames, le soleil fait une apparition miraculeuse. Comme moi, l’accompagnateur est un immigré. Comme moi, il écrit des mots accrochés aux flancs des falaises de sa terre d’accueil. Il y a de la poésie dans l’air. Un bel échauffement pour trouver le vocable qui va allumer les yeux des enfants du collège où je suis livré. Nous partageons notre amour du beau mot jusqu’à Affiche Moilkan, imprimerie à l’ancienne qui clame que « Dieu est amour… dans la limite des stocks disponibles ». La rencontre du soir se fait dans une médiathèque plantée au-dessus d’un ancien donjon. J’y suis à l’aise pour guillotiner sans pitié quelques idées reçues. Jacques s’est évadé à temps. Géraldine est préposée à l’exercice d’enfermement automobile sous la pluie. Nous avons les mêmes idées du développement local. Elle goûte à mes ronflements jusqu’à l’Hôtel Shining. Je ne rencontrerai pas Makenzy Orcel. La nuit est sauvée…

Le jeudi s’avère toujours aussi improbable. Françoise qui m’accompagne au lycée agricole de Dannemarie-sur-Crète est carrément venue avec un bout de la Côte d’Ivoire. Ces yeux bleus ont inspiré Voho Sahi, homme politique et poète ivoirien, oxymore vivant à la Senghor. J’apprends qu’il est fils adoptif de la région comme son homologue sénégalais était Normand. Les identités ne s’écrivent pas seulement dans le sang, elles prennent aussi les vaisseaux des trajectoires de vie. Le lycée est battu par l’inévitable pluie. Les jeunes gens n’ont jamais vu un auteur si proche de la terre. Ma grand-mère paysanne, mes études de biologie végétale et animale sont d’un grand secours pour établir un pont. C’est reposant, la journée sera longue. Le soir, dans l’arrière-salle d’une librairie tenue par un ancien ouvrier à Lons-le-Saunier, c’est mon grand retour sur Marx. David a pris le relais de l’accompagnement. Il dégustera plus que tout autre mes ronflements sur le chemin du retour. À l’Hôtel Shining, pas l’ombre d’un Makenzy Orcel. La nuit est sauvée…

Séance de rattrapage voiturier avec David le lendemain. Tout ce qui ronfle ce matin-là, ce sont nos phrases passionnées. Nous reconstruisons une nouvelle arche de Noé sous le déluge franc-comtois. L’ambiance est campée pour Héricourt. La puissance accueillante est aussi un David. Sa barbe de prophète, sa moustache en ouïes de violoncelle, et son costume de lord anglais n’arrivent pas à cacher son gauchisme authentique. À la médiathèque François-Mitterrand, ce sont les femmes et les hommes qui donnent son sens à un lieu, pas la toponymie. La boiserie magnifique de l’amphithéâtre rend une belle acoustique. C’est la dernière soirée. Nous prenons le temps de mes théories les plus fumeuses. J’ai le sentiment que chaque personne présente ne sera plus jamais comme avant. Il y a de la beauté dans tous les yeux. Je ne me souviens plus si j’ai ronflé sur le retour. Toujours pas de Makenzy Orcel dans les couloirs du Shining. On aurait bien tué cette nuit…

Une dernière rencontre est prévue le samedi à Saint-Vit. Avec la fatigue accumulée, je pense enclencher le pilote automatique de l’auteur blasé pour surfer tranquillement jusqu’au train. Mais le festival a encore de la magie sous le capot d’une voiture d’accompagnateur. Françoise tient le bouquet final de la semaine de feu d’artifice. Elle me raconte sa jeunesse d’études passée au cœur de l’Allemagne dite démocratique, elle allume mes yeux de ses années, au cœur de ce que je considère comme le bon côté du rideau de fer. Renversement de paradigme. Le conteur conté ! Mes accus s’en trouvent immédiatement rechargés. Je suis livré frais et pimpant à Odile et ses collègues qui ce matin de samedi réussissent la prouesse de remplir la médiathèque d’un public passionnant. Je me sens à la fois grand et tout petit lorsque toutes ces femmes m’accompagnent au train. Pour la première fois dans un festival, la gare m’est un lieu de déchirement. La pluie même s’est arrêtée pour ne pas briser la solennité du moment. Je décide de faire comme elle, je me garde la réplique finale pourrie à la Mac Arthur : « je reviendrai ! ».gauz

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