Journal des Petites Fugues (Extraits)
22 novembre 2003
Fontaine-lès-Luxeuil – Petite fugue de Michel Layaz
Elle est assise au dernier rang, derrière une vingtaine de personnes assemblées, presque toutes des femmes. Le livre de Michel Layaz, Les Larmes de ma mère, est posé sur ses genoux. Elle se tient presque immobile et cette immobilité se remarque. Son visage est sérieux, presque tendu. Elle sourit parfois, mais timidement, aux propos de l’écrivain. Quelques personnes posent des questions, Layaz répond en se livrant généreusement. Au début, de longs silences entre les interventions : ils donnent aux mots échangés le loisir de pénétrer les esprits, d’infuser ; ils établissent le courant. Elle écoute ; elle regarde à peine autour d’elle, ne voit que l’auteur, peut-être. Les échanges se font plus nourris, laissent moins de place à la méditation partagée, alors elle commence à s’agiter, comme impatiente, et saisit l’occasion de la première accalmie pour se lever. Elle se tient bien droite, un peu de rose lui monte aux joues. L’assistance a perçu quelque chose, le silence se fait. Alors elle parle, sa voix tremble un peu : « Je voudrais vous dire… J’ai emprunté votre livre à la bibliothèque… Je l’ai rapporté à la maison, posé sur le coin du buffet. Je me suis promis de le lire le lendemain, lorsque les enfants seraient à l’école… C’est ce que j’ai fait… Je les ai accompagnés puis je suis vite rentrée à la maison, comme si j’avais oublié une casserole sur le feu… Je me suis installée devant la fenêtre de la cuisine, debout, j’ai ouvert le livre et j’ai lu… j’ai lu à voix haute, pas trop vite, dans le silence de la maison, en écoutant chaque phrase, en regardant parfois au loin, vers l’horizon… J’ai lu tout le livre ainsi, en peu de jours. » Elle reprend sa respiration, la relâche, puis : « C’était beau… » C’est tout ; elle s’est tue. Pendant qu’elle parlait, l’émotion montait dans l’assistance. Michel Layaz, visiblement ému, n’a pu dire qu’un mot, larme à l’œil : « Merci. » Ensuite, le silence s’est doucement effiloché.
Les Petites Fugues offrent de ces moments forts, pas si fréquents en vérité, qui font se rencontrer ceux qu’une nécessité profonde pousse soit à écrire, soit à lire, parce qu’ils ne renoncent pas à explorer le monde et à tenter de saisir quelque chose du mystère de l’homme, même si, à mesure que la littérature s’écrit et que s’accumulent les réponses, les questions deviennent toujours plus nombreuses… Et la réussite est au rendez-vous parce que, au bout des rencontres, chacun se sent plus riche, de quelque chose peut-être de fragile, de fugace, d’indéfini, mais qui lui est indispensable. Le poète Alexandre Voisard dirait : chacun se sent « accru ».